Créer les conditions favorables

Merci, Michael, d’avoir soulevé cette question [voir l’article «Working on Early ‘Unbearable’ Distress,» («Travailler sur la détresse précoce ‘insoutenable’») par Michael Levy, PT 191]. J’ai moi aussi réfléchi à la manière d’accéder aux souffrances « insoutenables » du passé et de travailler dessus en pratique.

Merci aussi d’avoir donné des caractéristiques importantes de ce qui constitue ces souffrances. Elles me semblent justes.

Chacun a des expériences et des blessures différentes. Ma blessure la plus profonde était exceptionnellement précoce et grave, je ne sais donc pas dans quelle mesure mes conclusions s’appliqueront à d’autres. Mais il peut toujours être utile de partager son expérience, donc je continue.

J’ai le souvenir d’Harvey Jackins employant toute sa créativité pour que j’arrive à faire face à ma pire souffrance et à la ressentir. Pratiquement, je ne pouvais pas « aller là ». C’est seulement plus tard (après avoir finalement accédé aux sentiments et déchargé) que j’ai pu comprendre ce qu’il avait observé et ce qu’il essayait de me faire faire.

Pourtant, même sans qu’il me pousse et sans que j’essaye d’accéder aux sentiments, ceux-ci ont finalement surgi (ils sont complètement sortis de l’occlusion). Je n’avais alors pas d’autre choix que de les décharger.

J’ai été mal en permanence pendant deux ans, mais j’ai eu facilement accès à la décharge pendant tout ce temps.

Après deux ans de décharge intense quotidienne, beaucoup de choses avaient changé dans ce que je ressentais et dans mon fonctionnement. Je ne m’étais pas débarrassée de toute ma collection de souffrances, mais j’avais un sentiment de « renaissance ». Tout semblait nouveau. C’était extraordinaire.

Il y a encore à décharger, à la fois sur l’événement initial et sur les automatismes qui se sont développés en résultat de cette blessure originelle. Pourtant, je sais que j’ai passé le pire. Je sais que je peux « survivre » aux pires sentiments, comme j’ai survécu à l’événement originel. Je ne suis donc plus « piégée » (vulnérable à des restimulations inconscientes). Il n’y a plus ce vaste « champ de mines » terrifiant et mystérieux qui m’obligeait à structurer ma vie pour l’éviter. Quand un résidu des anciens sentiments revient, je le reconnais - « Oh, c’est toi ! » et je peux le décharger directement. Ma vie est bien meilleure. Bien sûr, ma « petite fille intérieure » continue de vouloir accéder à toutes les blessures qui me restent et à les décharger. Nous avons tous là un e allié e puissant e.

Je pense que dans mon cas la « petite fille » n’était pas prête à « tirer le levier » avant que certaines conditions ne soient réunies.

Certains d’entre nous peuvent avoir des souffrances configurées de manière à ce que les souffrances « insoutenables » soient plus facilement accessibles (et peut-être l’intense sentiment douloureux peut-il alors être globalement limité aux séances).

D’autres (dont je fais partie) ne vont apparemment pas se laisser accéder complètement à leurs souffrances les plus « insoutenables » avant d’avoir les bonnes conditions.

Pour moi, les conditions suivantes étaient réunies au moment où mes blessures les plus profondes ont « décidé » de se présenter pour être déchargées :

  • J’avais deux solides écoutantes à long terme qui pouvaient être inconditionnellement là pour moi et rester claires quoi que je ressente (ou quoi que je dise sur ce que je ressentais). Chacune d’elles était disponible au moins une fois par jour pour une mini ou une séance plus longue. Et j’avais aussi une séance presque quotidienne avec d’autres co-écoutant-e-s.
  • Je comprenais la théorie de base de la co-écoute – et c’était une bouée de sauvetage et un phare lorsque j’étais « sous l’eau ».
  • J’avais déjà accès à toute la gamme des processus de décharge – les pleurs, les tremblements, etc. – et je pouvais aussi me laisser être physiquement proche de quelqu’un, ce qui était nécessaire pour décharger ma terreur.
  • J’étais dans la co-écoute depuis assez longtemps pour que tout ceci se soit mis en place.
  • J’avais la place dans ma vie pour faire assez de séances.

En plus de ce qui précède, certaines personnes peuvent avoir besoin d’au moins certaines des conditions ci-dessous avant de pouvoir rechercher leurs souffrances insoutenables (ou de leur permettre de « remonter ») :

  • Elles ont pris conscience qu’elles peuvent se sentir mal, dans les séances et en dehors, pour une durée indéterminée (cela peut donner le sentiment que c’est pour toujours).
  • Elles sont déterminées à continuer à être actives (y compris dans le rôle de conseillères) quoi qu’elles ressentent. Sinon, il est trop difficile de garder son attention en dehors. Fondamentalement, il faut avoir compris qu’il est nécessaire d’agir sur la base de ce qui est logique et non sur les sentiments – et avoir la capacité de le faire.
  • Elles ont assez de temps disponible. Au moment où je ressentais ma souffrance insoutenable, j’avais de la marge dans mon emploi du temps. Manquer de temps pourrait être un obstacle significatif et empêcher les gens d’« aller là ». On a besoin de temps pour beaucoup de séances (c’était mon cas, du moins), sinon cela pourrait être vraiment insupportable.
  • Leur vie va relativement bien. Être entourée de défis restimulants pourrait prendre trop d’attention et la « petite personne intérieure » pourrait se retenir de ressentir les blessures les plus profondes.
  • Elles ne croient pas l’oppression de « santé mentale ». La société dit que nous sommes des « malades mentaux » si nous « craquons », si nous nous sentons trop souvent mal, si nous déchargeons beaucoup – fondamentalement, si nous ne sommes pas insensibilisés et « normaux ».

Voici aussi deux manières additionnelles d’accéder à la souffrance :

  • Nous pouvons arrêter brutalement une dépendance (et non petit à petit). Cela fera généralement remonter les sentiments « insoutenables » à décharger. Je peux décharger certains reliquats de ma souffrance « insoutenable » quand je cesse de manger de manière addictive.
  • Nous pouvons relever un défi dans notre vie qui fasse remonter les sentiments « insoutenables ».

Bien sûr, ces deux derniers points dépendent de notre décision. Et beaucoup d’entre nous ne la prendrons pas s’il n’y a pas assez de conditions réunies pour que nous puissions décharger ce qui vient.

Nous pouvons nous demander : « Est-ce que cela vaut la peine de faire ce qui est nécessaire pour se libérer de ces «insoutenables» premières blessures? » Je pense que oui.

Merci de m’avoir donné la possibilité d’y réfléchir, Michael.

Katie Kauffman

Seattle, Washington, USA

Reproduit du forum électronique pour les
formateurs et formatrices de Co-écoute

Traduit par Brigitte Guimbal


Last modified: 2019-05-02 14:41:35+00